“L’insolite Jay Gottlieb” – Article

J’ai entendu Jay jouer, pour la première fois, à L’Atrium Daniel Magne, le 22 janvier. J’avais envie de découvrir la musique de ce personnage, à la fois si insolite et si attachant.

Première surprise en arrivant : une salle archi-comble. Surprise, car ce n’est pas dans les habitudes de l’Atrium (ce que j’avais pu moi-même constaté en y assistant à deux master class par le passé). Là, une foule hétéroclite se pressait, heureuse et impatiente de pouvoir écouter Jay. Je dis « heureuse », car dès l’arrivée, avant même l’entrée en scène du pianiste, on sentait très clairement beaucoup d’amitié dans l’air, on ne venait pas seulement écouter un pianiste de talent et de renom, mais écouter Jay. Et une telle ambiance, ça décuple l’envie et le plaisir.
Le contexte était assez particulier, il s’agissait de l’enregistrement pour France-Musiques, de l’émission « à l’improviste » (en l’occurrence : Carte blanche au pianiste Jay Gottlieb) avec une particularité cette fois, ou plutôt une surprise de la part de Jay Gottlieb : faire intervenir le public qui lui proposera des thèmes d’improvisation et sur un rythme effréné, où le micro passera rapidement (parfois en moins d’une minute) d’une personne à l’autre pour suggérer des mots, des phrases, des idées pour inspirer une improvisation.

Il pourrait paraître inutile ou futile, s’agissant d’un pianiste, de parler du personnage lui-même, de l’humour, de la gentillesse, et de la générosité qui transparaissent dans ses paroles, si ces mêmes traits n’apparaissaient pas de façon si évidente dans sa musique.

Je ne vais pas m’étendre sur la virtuosité du musicien, elle est évidente et va de soi lorsqu’il nous livre des impromptus improvisés sur une telle palette de thèmes, de couleurs, d’émotions. Je garde encore le souvenir de son interprétation autour d’un poème d’une petite fille ayant pour sujet la pluie et où il finissait debout, à pincer les cordes à l’intérieur du piano. Ou encore sa vision (du moment, je suis persuadé qu’à un autre moment, son interprétation de la ville aurait été toute différente) de New-York, sa ville natale. Tour à tour gai, pensif, doux, violent, contemplatif, plus qu’une simple démonstration de talent, il nous a offert une gamme de variations autour de sa sensibilité, de sa surprenante originalité, et des différentes facettes du personnage, tel qu’il est dans la vie.
Je renouvelle ici ma standing ovation.

« Jay Gottlieb est un phénomène. De virtuosité technique tout d’abord, qui lui a permis d’aborder le répertoire pianistique du XXe siècle le plus exigeant ; de sensibilité artistique aussi, car il a su prêter à ces partitions une lumière, une lecture habitée et des couleurs qui font du remarquable virtuose un grand musicien. La presse n’a jamais cessé de clamer la générosité de ce New-Yorkais inspiré par les doigts duquel se sont fait entendre les audaces des compositeurs d’aujourd’hui. “Il est rare d’entendre la musique actuelle d’une manière qui fait honneur à celle du passé. Une vie intérieure intense qui le brûle mais qu’il sait faire partager à ses auditeurs. Une interprétation magistrale, envoûtante, incantatoire, des timbres de couleurs denses, riches, inoubliables”.

La critique est unanime et internationale. Les compositeurs s’en mêlent aussi qui tous disent l’admiration qu’ils ont pour le pianiste, de Pierre Boulez à Olivier Messiæn, de Luciano Berio à Leonard Bernstein.

Mais pour ce qu’il a été de tant de grandes créations de ces dernières décennies, Jay Gottlieb n’en est pas moins un excellent interprète des autres répertoires. Le parcours ici proposé, sous le signe des maîtres américains (Crumb, Gershwin) témoigne de cette ouverture. Un programme qui n’économise pas ses moyens ni son énergie et permettra d’apprécier l’ampleur d’interprétation d’un authentique talent.

L’occasion rare d’entendre en concert ce que le disque pourrait faire oublier : un musicien vivant donnant à entendre une musique vivante, en un mot, une leçon de musique.

(Source : Espace des Arts, à l’occasion de Pianissimo, 16 janvier 2005)
Alexandre de Almeida

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