“Hommage à Elliott Carter à la Fondation des Etats-Unis, Paris” – interview

Jay Gottlieb : nommé pianiste officiel par le gouvernement américain afin de représenter son pays dans le monde entier, Jay Gottlieb est né à New York. Il étudie à la Juilliard School et à l’Université de Harvard, ainsi qu’en France avec Nadia Boulanger, Olivier Messiaen, Yvonne Loriod, Robert Casadesus, et en Allemagne avec Aloys Kontarsky. De nombreux compositeurs ont écrit pour lui.

Quelles œuvres de Carter seront jouees lors de ce recital ?
Mon récital en hommage à Carter comprendra Two Diversions (1999), Retrouvailles (2000), Intermittences (2005), Caténaires (2006), et Matribute (2007). Simple est de constater qu’il s’agit de ses cinq œuvres pour piano les plus récentes, allant jusqu’à l’année dernière, avec la charmante Matribute, écrite pour la maman (d’où l’humoristique titre “Ma + Tribute”) du chef d’orchestre James Levine.

Comment choisit-on les autres compositeurs à intégrer à cette soirée ? Selon les ressemblances ou les antagonismes ?
Surtout selon les affiliations, les appartenances. Comme l’on sait pertinemment, Carter est viscéralement lié à la France: il a appris le français déjà tout petit; il a étudié à Paris avec Nadia Boulanger ; c’est un ami de longue date de Pierre Boulez, dédicataire et créateur de plusieurs de ses œuvres; et les trois compositeurs de la seconde partie de mon programme – Messiaen, Dutilleux, Jolas – figurent dans le panthéon personnel de Carter sur le plan musical et humain. Dans la première partie, avec Charles Ives et Henry Cowell, c’est un retour vers les débuts de Carter qui, à l’âge de 17 ans, a eu le privilège de rencontrer le grand Charles qui l’a tout de suite repéré et encouragé comme compositeur. Ives a même écrit une lettre de recommandation pour son admission comme étudiant à l’Université de Harvard. Au-delà de ce rapport quasi paternel, la musique de Ives, avec son extraordinaire liberté tonale, rythmique et spatiale, restera comme influence primordiale. Quant à Henry Cowell, peut-être l’être le plus proche de Ives, il a été pour Carter un ami et collègue très cher.

Quelle est la place de Carter dans la musique américaine actuelle ? N’est-il pas éclipsé par les compositeurs minimalistes, en particulier ?
Comme pour tout phénomène, il s’agit et s’agira toujours de levers et de couchers de soleil successifs par rapport aux styles et aux modes d’expression. Justement, une des grandes leçons de Charles Ives est que tout à son importance, que tout contribue à cette fameuse “Ame-au-dessus-de-tout” dont parlent les Transcendantalistes américains (Emerson, Thoreau…), centrale à la pensée ivesienne et américaine en général. Les “minimalistes” et les “maximalistes” ont tous deux le droit d’exister, de co-exister, et tout le monde trouve son compte, ou dans l’un ou dans l’autre, ou dans les deux.

Un compositeur centenaire a-t-il plus de chance qu’un autre d’influencer les nouvelles générations ?
Pour moi, ce qui est précieux par rapport à un compositeur centenaire, c’est la possibilité de mesurer une longue évolution à travers le temps, et sous quelles formes elle s’articule. Si dans le passé, Carter semblait obsédé par la notion de l’opposition des contraires, avec l’avancée des décennies, il démontre au contraire un souci de l’unité des éléments, aussi complexes qu’ils soient. Il partage le point de vue du poète italien Eugenio Montale, mis en musique d’ailleurs par Carter, qui parle du temps sous l’angle des chemins parallèles qui ne s’entrecroisent que rarement. Mais quand ces chemins se croisent, l’observateur – ou l’auditeur – vit leur intersection comme un simple moment, ce qui produit la négation de leur multiplicité. Néanmoins, dans le vécu de ce moment, l’observateur/auditeur perçoit que seulement “addio” (adieu) est possible, et pas “arrivederci” (au revoir). Dans les œuvres plus récentes, on peut déceler une plus grande luminosité, énormément d’humour, une liberté d’approche(s) fabuleuse, ce qui devrait servir comme inspiration pour tout jeune compositeur qui se cherche, qui se tourmente, qui fait tout pour plaire plutôt que produire sa vérité avec plus rien à prouver.

Propos recueillis par L.B., Anaclase.com, le 25 septembre 08

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